Stratégies d'exploitation et préparation de la résilience opérationnelle du système électrique
Au cours des deux dernières décennies les systèmes électriques ont évolué plus vite que jamais. Aujourd'hui ils intègrent de plus en plus de nouveaux types de sources dans leur mix de production, qui mettent en œuvre des convertisseurs à base d'électronique de puissance, et dont le comportement est complètement différent de celui des productions conventionnelles lors des incidents qui affectent le système. Par ailleurs le changement climatique a conduit à ce que les impacts environnementaux soient beaucoup plus sévères et plus fréquents qu'auparavant. Ces deux évolutions ont induit une vulnérabilité sans précédent des systèmes électriques aux événements de fort impact et de faible fréquence (HILF). L'industrie de l'électricité a dédié beaucoup d'efforts à la mise en place de mesures et de processus pour renforcer la résilience des systèmes électriques aux perturbations provoquées par des phénomènes naturels tels que les ouragans, les tremblements de terre, etc. En plus de ces événements d'origine naturelle, les cyberattaques et les menaces humaines ont aujourd'hui un impact beaucoup plus fort que précédemment, du fait de la montée en puissance de la digitalisation, et de la dépendance des systèmes électriques modernes aux technologies de l'information, et aux technologies opérationnelles qui utilisent internet comme plateforme pour l'exploitation quotidienne des systèmes électriques.
Chef de file
(DE)
J. JACOBS
Secrétaire
(NO)
L. TEIGSET
G. HESSE (AU), M. MILLER (AU), D. SHARAFI (AU), P. GOMES (BR), A. GUARINI (BR), M. AGUADO (FR), P. LEBRETON (FR), F. STEINKE (DE), H. WOITON (DE), C. KUMAR (IN), M. RENIERI (IT), M. POLI (IT), H. SARMIENTO (MX), S. TALOMO (IT), S. BRUIJNS (NL), S. DE GRAAFF (NL), A. STEFANOV (NL), J. CREMER (UK), T. ALSHAIKH (SA), G. JAKUPOVIC (RS), D. MANNO (US), J. MONKEN (US), C. REIGER (US), J. REILLY (US), A.K. SRIVASTAVA (US)
Contenu de la BT
Le Groupe de Travail (GT) CIGRE C2.25 s'est intéressé aux stratégies opérationnelles et à la préparation permettant de renforcer la résilience des systèmes électriques, et la Brochure Technique (BT) traite de l'impact des conditions d'exploitation du réseau sur la résilience de système électrique. A cette fin le GT a préparé deux enquêtes et analysé les réponses reçues, sur les différences de compréhension des concepts de fiabilité et de résilience, sur le degré d'occurrence d'événements HILF pertinents dans différentes parties du monde, et sur les stratégies de résilience opérationnelle qui ont été mises en œuvre pour caractériser et gérer ces situations. En outre des questions des enquêtes portaient sur les améliorations de la résilience opérationnelle. Au total 38 opérateurs de systèmes et compagnies d'électricité différents, de toutes les parties du monde (Figure 1), ont répondu aux questions des enquêtes, et ont ainsi ont permis de mieux saisir le contexte de la question de la résilience opérationnelle, et d'apprendre comment ces acteurs traitent cette question nouvelle.
La différence entre la fiabilité et la résilience est largement débattue dans la BT. Alors que le concept de fiabilité est bien compris dans les décisions d'investissement, et aux stades de la conception et de l'exploitation des systèmes électriques, le concept de résilience est soit mal compris, soit couramment confondu avec celui de la fiabilité. De nombreuses instances ont établi des cadres réglementaires affectant une valeur économique à la fiabilité, qui est fortement liée à la valeur de la charge perdue. Des indicateurs de performance des systèmes électriques sont également conçus comme des incitations pour l'opérateur de système à garantir la fiabilité du système électrique. Cependant ces cadres ne portent pas beaucoup d'intérêt à la résilience et les cadres réglementaires habituels traitant de fiabilité ne font que refléter le profil de risque des systèmes électriques au moment où ils ont été conçus, quelques décennies auparavant. Ces cadres réglementaires étaient adaptés à une époque où le parc de production était majoritairement composé d'un nombre limité d'unités de production conventionnelles, centralisées, de grande puissance, programmées, et synchrones. Dans de tels systèmes électriques, les événements prépondérants créant un risque pour la sécurité du système électrique étaient les incidents, ou les pertes inopinées d'unités de production, d'éléments de réseau, ou de charges élevées. Pour les systèmes électriques modernes le profil de risque est très différent et de nouvelles approches sont nécessaires pour gérer correctement les risques. Il faut bien comprendre les différences entre fiabilité et résilience, et il faut mettre en place des caractérisations et de des indicateurs. Le processus de gestion de la résilience peut être décrit comme montré sur la Figure 2.
Conformément à la définition de la Résilience d'un Système Electrique, préparée et récemment publiée par le GT C4.47 CIGRE," la résilience d'un système électrique est son aptitude à limiter l'extension, la sévérité et la durée de la dégradation du système lors d'un événement extrême". Cet objectif est atteint par la mise en œuvre d'un ensemble de mesures clés à prendre avant, pendant, et après des événements extrêmes, telles que l'anticipation, la préparation, l'absorption, l'adaptation, la reprise rapide et le maintien d'un fonctionnement critique du système électrique. Ceci implique l'application des leçons tirées des événements qui se sont produits.
Les menaces physiques, naturelles et humaines, ainsi que les cyberattaques peuvent potentiellement provoquer des impacts catastrophiques sur le système électrique et sur l'exploitation du réseau, du fait de la possible perte d'installations de l'infrastructure du réseau ou, également, de fonctionnalités des outils critiques pour l'exploitation du réseau. Il faut donc être préparé, avoir identifié des contre-mesures et les mettre en œuvre, pour gérer ces événements extrêmes, en tenant compte de leur probabilité et leur impact potentiel. Les événements HILF transcendent les autres risques pour le service, du fait de la magnitude de leur impact et de l'expérience relativement faible qu'on peut posséder de leur gestion opérationnelle. De plus, il faut prendre en compte le fait que les incidents affectant un secteur industriel particulier impactent aujourd'hui fortement d'autres secteurs à cause des interdépendances de plus en plus fortes qui existent , au sein du secteur de l'énergie, par ex. entre électricité, gaz, chaleur, etc., ou même entre secteurs industriels différents, comme énergies, communications et transports. Le besoin d'une coordination entre secteurs interdépendants devient par conséquent de plus en plus vital pour assurer la sécurité d'alimentation.
L'enquête a permis de voir que plus de 90% des correspondants doivent faire face à des événements HILF dans leur infrastructure électrique. Le tableau 1 donne une vue d'ensemble des réponses à la question portant sur le nombre de fois où le réseau électrique a connu des événements spécifiques HILF depuis l'année 2000. La compilation des réponses et le classement par nombre d'occurrences a montré que les événements d'origine météorologique avaient la plus forte incidence. Les événements environnementaux sont d'importance différente d'un pays à l'autre, et certains événements spécifiques sont plus critiques pour certaines compagnies que pour d'autres. Les menaces physiques d'origine humaine, telles que celles mettant en danger la sécurité matérielle et les menaces terroristes ont également été classées par les compagnies qui ont répondu. Néanmoins, au vu de notre expérience à ce jour, on peut penser que l'impact des menaces physiques d'origine naturelle est plus élevé que celui des menaces d'origine humaine. Ces menaces et leur importance relative sont examinées en détail dans la BT.
Développer des indicateurs de résilience des systèmes électriques peut être utile, en aidant à comprendre comment un système réagit à un événement et quels indicateurs sont à utiliser pour évaluer son comportement. Il existe de nombreux indicateurs basés sur des données existantes qui peuvent être utilisés, et des indicateurs qui peuvent être développés pour évaluer le comportement des réseaux futurs. Certains de ces indicateurs sont issus de données disponibles, qui sont relativement faciles à collecter, et certains qui sont issus de données plus complexes qui peuvent demander des expertises analytiques, des outils et des modélisations. Certains indicateurs peuvent utilisés rétrospectivement à des événements passés, et certains sont de caractère prévisionnel et peuvent être utilisés pour des événements hypothétiques. Des indicateurs dédiés peuvent également être construits pour une utilisation limitée à un événement ou un groupe d'événements, mais des indicateurs peuvent aussi être utilisés pour des événements divers et fournir un aperçu global pour une large palette de situations. La reproductibilité de l'évaluation au moyen de certains indicateurs est importante, afin qu'elle permette de les utiliser pour analyser des événements répétitifs en garantissant une cohérence dans l'approche. On peut en général classer les indicateurs en deux groupes, indicateurs basés sur un attribut (qualitatifs) et indicateurs basés sur un comportement (quantitatifs).
Conclusion
Du fait de l'évolution de la nature du système électrique et de l'augmentation du nombre des événements extrêmes, il est nécessaire d'apporter des améliorations dans l'exploitation des systèmes électriques modernes et en particulier d'adopter une méthodologie basée sur le risque. Cette évolution rend insuffisantes les mesures opérationnelles actuelles, qui ne prennent pas suffisamment en compte la résilience aux événements extrêmes. Aujourd'hui se préparer pour faire face à ces types d'événements demande de faire appel aux concepts d'apprentissage et d'adaptation continus. La réponse à un événement extrême demande une analyse post événement et une prise en compte des enseignements tirés. Une analyse de ce type se conclut par des plans d'actions et des plans appropriés de formation et de préparation pour accroître la résilience opérationnelle face à des événements similaires, dans le futur. Les points de progrès en matière de stratégie de résilience opérationnelle qui ont été identifiés, et demandent d'être améliorés, sont listés ci-après:
- La nécessité de développer une méthodologie basée sur l'analyse de risque;
- Une analyse des risques pour des activités interdépendantes;
- La communication et la coordination avec plusieurs tierces parties et les autres autorités publiques;
- L'absence d'une prise en compte de la résilience opérationnelle dans les outils actuels d'aide à la décision;
- L'absence d'indicateurs de résilience opérationnelle;
- Le besoin de mécanismes de marché innovants qui facilitent une exploitation en sécurité du système électrique;
- L'impréparation en matière de cyber sécurité;
- La formation spécifique des opérateurs aux relations avec les parties prenantes externes.
Le GT espère que des activités vont à l'avenir viser à mieux comprendre ces points et à recommander des mesures appropriées qui assureront une exploitation sûre, fiable et résiliente, des systèmes électriques du futur, qui sont destinés, dans le processus de transformation des systèmes énergétiques, à intégrer des sources d'énergie plus propres.